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Aphasie et communication

Entrons ensemble dans le cœur de l'aphasie pour comprendre son impact dans la communication
Faut-il attendre l'échec des méthodes de rééducation visant à rétablir le  langage pour se pencher sur la communication?

L'aphasie : une maladie surprenante et encore bien mal connue

L'aphasie entraîne un handicap de communication dont seule une partie est évidente pour celui qui est face à la personne aphasique : c'est à dire pour nous.

 

En effet, qu'observe-t-on d'abord ?

Un trouble visible : une difficulté à s'exprimer. 
La personne aphasique montre des difficultés à produire un langage compréhensible. 
Pourtant, elle sait ce qu'elle veut dire. Mais les mots sont devenus difficiles à prononcer, les mots sont déformés, ou ils arrivent les uns à la place des autres, ou ils n'arrivent plus, et son sentiment de frustration est constant.
Elles sont d'intensité variable : elles peuvent rester discrètes. Mais elles peuvent entraîner, dans les formes graves, soit une réduction du langage exprimé qui va parfois jusqu'au mutisme, soit des déformations qui aboutissent à un langage totalement incompréhensible. 
Ces difficultés à s'exprimer sont évidentes.

Poursuivons cette analyse.

Dans un échange l’attention à l’interlocuteur est indispensable pour assurer une collaboration de bonne qualité pour une compréhension mutuelle bien ajustée.
La nature du handicap que rencontre la personne aphasique est très particulière. Retrouver la capacité à produire du langage comme avant reste pour elle une préoccupation centrale. Cette préoccupation mobilise toute son énergie, toute son attention. Elle reste résolument concentrée sur sa production verbale.

Comment imaginer alors qu’elle puisse maintenir son attention sur son l’interlocuteur ?

Comment imaginer alors qu’elle puisse être attentive aux signes sur lesquels s’appuyer pour s’ajuster, ceux que nous renvoie notre interlocuteur : sa mimique, son regard, ses interrogations, son approbation, son niveau de compréhension. Comment imaginer qu’elle aura les moyens de modifier sa formulation pour s’ajuster ?

Comment imaginer qu’elle a conservé la capacité à nous guider ?

De quel côté, personne aphasique ou interlocuteur « sain », doit se situer l’engagement des réparations du message pour aider à son identification ? Poser la question c’est déjà y répondre (4).

Mais on observe aussi une autre difficulté, plus subtile, beaucoup moins apparente.

La difficulté de la personne aphasique à comprendre le langage : l'aphasie brouille sa compréhension du message verbal entendu.
La personne aphasique a des difficultés à comprendre le sens précis des mots, des phrases, des conversations qu'elle entend.
Ces difficultés sont variables : dans une conversation, elles peuvent aller d'une compréhension approximative de certains mots, mais qui permet le maintien d’une interaction relativement satisfaisante, jusqu'à une incompréhension totale du langage qu'on lui adresse, dans les cas les plus graves.

Il n'est pas facile de s'en rendre compte. 
Pourquoi ? 
Parce que la personne aphasique essaye de compenser, parce qu'elle déduit le sens de ce qu'elle n'a pas compris à travers les mots. Avec bien sûr des erreurs, inévitables, des contresens, des approximations.
Nous ne nous en apercevons pas : parce qu'elle ne signale pas sa difficulté, parce qu'elle ne nous renvoie aucun signe habituel pour nous alerter, parce qu'elle ne nous arrête pas quand nous parlons. Elle se comporte comme avant, exactement comme si elle avait compris. 
Souvent elle croit avoir compris, parce qu'elle a compris la situation, les regards, les mimiques, souvent les gestes, l'intonation, ces indices « péri-linguistiques » qui ne passent pas par le décodage des sons des mots eux-mêmes.
Et peut-elle identifier notre incompréhension ? A t-elle les moyens de gérer les ajustements ? Peut-elle nous aider ?

                         POUR CONTOURNER CES DIFFICULTÉS A COMMUNIQUER, IL EXISTE DES SOLUTIONS !

Des moyens pour mieux communiquer :
Le premier d'entre eux est de ne pas ignorer le trouble de la compréhension. Il faut rester très attentif à ne pas passer à côté des conséquences de l'aphasie sur la compréhension du langage. Et on a vu à quel point cette difficulté est sournoise. Ne pas vouloir s'en rendre compte c'est maintenir la personne aphasique dans l'à-peu-près, c'est renforcer son malaise intérieur, c'est la laisser s'isoler davantage. Communiquer c'est parler mais c'est aussi comprendre, et SE comprendre mutuellement ! L'aphasie éclate les capacités à communiquer. 

Il faut savoir ajouter des gestes pour accompagner les mots : ils nous aident, nous qui ne sommes pas aphasiques, à compléter le sens du message qu'on adresse. Ils permettent à la personne aphasique des déductions plus justes : ils la guident.

Un autre point important est de savoir prendre du temps pour être « sur la même longueur d'onde », et vérifier ce que la personne aphasique a réellement compris pour éviter les quiproquos.

Ensuite il ne faut pas donner à la personne aphasique plus d'une information dans une même phrase, il ne faut faire qu'une seule demande par question qu'on lui pose.

Par exemple: « J’éteins la lumière ou je la laisse allumée ? » ou « Votre douleur est supportable ou pas ? » comportent chacune deux élément à dissocier absolument, une partie de la question après l'autre

( En clair : «J'éteins la lumière ? » « non ? » « Alors je la laisse allumée ? »).

Donc proposer d'autres phrases, d'autres questions, autant que nécessaire, pour donner ou demander d'autres informations, pour avoir la confirmation claire de nos propositions.

La règle d’or est déduire, mais non traduire ! 

Enfin, quand on communique, ce qui est compris est compris, même si le mot n'est pas produit ou mal prononcé. Parce qu'on peut aussi comprendre grâce au contexte, grâce à un geste, un pointage sur un objet une photo ou une personne, une mimique, un mot même déformé, parce qu'on se connaît tellement bien qu'on devine parfois ce que l'autre veut dire. Demander la répétition ou la production du mot juste, chercher à réparer le mot, est un travail qui est fait en séance de rééducation du langage : c'est un travail souvent difficile. 

                                                             Communiquer doit rester avant tout un plaisir !


Il existe des outils pour mieux communiquer : les Carnets ou Classeurs de Communication.
Dans ces classeurs, les sujets principaux de conversations sont représentés par des photos et classés par catégories.

A quel moment doit-on penser à cette solution ?
Quand la communication est devenue si difficile que les échanges se bloquent, si difficile qu'on n'arrive plus à se comprendre. 
Immédiatement après l'accident vasculaire, le traumatisme crânien, l'intervention chirurgicale qui a enlevé la tumeur cérébrale : on n'attend pas ! Rétablir une communication est une urgence, c'est une priorité.


Quand la personne aphasique ne peut pas utiliser les mots pour s'exprimer par le langage.
Quand elle ne comprend pas le sens des mots, le sens des phrases qu'elle entend.
Quand elle ne peut pas utiliser et/ou comprendre les gestes familiers, quand ils ne suffisent pas.

 

Après s'être assuré que la personne aphasique comprend le sens des objets qu'elle a photographié sous les yeux malgré les lésions neurologiques.

Et qu'il est possible pour cette personne aphasique de nous guider en validant ou de rejetant nos pointages. Un des objectifs de l'orthophoniste est d'évaluer la fiabilité du "oui" "non".

Et n'attendons pas l'échec de la rééducation du langage

et ses conséquences sur le lien humain et l'énergie de vie

pour se pencher sur le rétablissement d'une communication !

 

Une démarche logique :

Imaginons une situation d'échange entre deux personnes

dont l'une est aphasique. 

- "J'aimerais vous comprendre, voulez-vous m'aider" ?

Dans cette situation, l'interlocuteur est  demandeur,

alors comment imaginer que la personne aphasique

va refuser de l'accompagner dans l’utilisation du support imagé ?

Si l'interlocuteur sait utiliser le support imagé pour débloquer

l’échange, comment imaginer que la personne aphasique

va refuser d’entrer en communication avec lui ?

Mais si nous attendons qu'elle prenne en charge la communication,             J'ai besoin d'un outil pour qu'on se comprenne ...

si nous attendons qu’elle nous aide à naviguer dans le support,

si elle se retrouve en difficulté pour nous aider (inévitablement),

comment imaginer qu'elle acceptera bien volontiers d'utiliser ce support de communication ??
                                                                                                                            

                                                                                                                           
Pourquoi cet « outil » de communication ?
Parce que l'aphasie elle-même n'atteint pas la compréhension du sens d'une photo, et que la plupart des patients comprennent immédiatement ce que la photo veut dire : un autre des objectifs de l'orthophoniste est de l'évaluer.
Parce qu'il n'y a pas de code à apprendre : le sens de la photo est immédiatement compréhensible pour vous, pour lui.
Parce que si nous pointons une photo, la personne aphasique comprendra ce qu'elle signifie et elle sera guidée pour suivre notre message, pas à pas.
Parce que si on pointe une photo, on pourra demander au patient si elle correspond bien à ce qu'il avait à dire où à ce qu'il avait compris en nous écoutant. On pourra alors avancer peu à peu vers un échange qui marche : il faut ouvrir le classeur et avancer ensemble, pour être compris et pour comprendre.

Vous aurez compris qu'un classeur de communication ne soigne pas le langage, mais qu'il est indispensable dans les cas où la gêne à communiquer est sévère. 
Indispensable parce que cet outil évite l'isolement. Il est nécessaire pour échanger, parce qu'il préserve une possibilité de communiquer en permettant à la personne aphasique avec notre aide de rester digne de transmettre et de recevoir des informations, de comprendre et de participer aux décisions qui la concernent, de conserver un lien avec le milieu hospitalier, le lien entre nous, le lien avec famille et amis. Il nous permet d'aider la personne aphasique à rester "en humanitude" (3).

Existe-t-il d'autres moyens, et pourquoi pas la langue des signes ou les pictogrammes, ou encore les langages gestuels ?

De quelle manière et avec quoi contourner le handicap de communication ? Penchons nous sur les principaux suppports existant :

Mais dans les aphasies sévères tous les articles, décrivant les essais qui ont été tentés, ont montré que ces techniques demandent un apprentissage long et laborieux de la part du patient et de tous ses interlocuteurs. Elles exigent des capacités cognitives inaccessibles en raison de la nature même des troubles aphasiques sévères d'un patient cérébro-lésé (4). Malgré des efforts soutenus, elles se sont montrées décevantes et n'ont pas permis de transfert dans la vie quotidienne (1) (2). En écoutant Cendrillon, avez-vous imaginé une seconde qu'Anastasie allait finir par mettre son grand pied dans la petite pantoufle de sa demi-sœur ? De même, ne demandons pas aux patients de s'adapter à nos outils, aussi séduisants soient-ils pour les yeux d'un rééducateur. Mais adaptons celui que nous proposerons aux capacités et aux incapacités du patient auquel nous le destinons en évaluant la fonctionnalité des aptitudes requises.

1. BRUN V., TETU F., KUNNERT J.E., D'ANGELI M., PELISSIER J. Communications alternatives : pictogrammes, aidé par le langage gestuel. MAZAUX JM , BRUN V , PELISSIER J. In : Aphasies 2000. MASSON, PARIS, 2000 ; 48 : 102-110.
2. DE PARTZ M.P. Les techniques de communication alternatives ou supplétives. In Rééducation orthophonique 1999 ; 198 : 111 - 122
3. JACQUARD A. Cinq milliards d'hommes dans un vaisseau. Seuil, 1987
4. GONZALEZ I. BRUN V. Communication alternative et suppléances fonctionnelles. In Aphasies et aphasiques. MASSON. PARIS. 2007

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